Interview
 

L’ÉNERGIE QUANTIQUE DE GUILLAUME COUSIN

PAR ADÈLE FUGÈRE

Guillaume Cousin est un drôle d’oiseau. Artiste-plasticien installé sur la côte vendéenne depuis le début des années 2000, ce créatif singulier, passionné de physique quantique, questionne l’espace et le temps grâce à des œuvres monumentales mais d’une légèreté sans nom. Focus sur cet « expérimentateur-constructeur ».

« Il m’a fallu du temps pour m’accepter en tant qu’artiste-plasticien. »

C’est par cette phrase que débute notre entretien. Guillaume Cousin n’est certainement pas né artiste. Il l’est devenu au fil de la vie, des rencontres et de l’âge. On perçoit d’ailleurs derrière cette voix posée où chaque mot semble choisi comme une légère pointe de doute persistante. Mais cet inconfort ne lui pose pas de problème. Au contraire, ça lui plait. « Ça permet de ne pas se prendre pour ce que l’on n’est pas ».

En 2001, Guillaume s’installe à Longeville. Pour fuir l’armée, il cherche du travail et trouve une place en tant que régisseur-lumières pour la scène nationale de La Roche-sur-Yon. Il bifurque ensuite vers le Fuzz’Yon. « On peut même dire que je suis le plus vieux technicien du Fuzz’Yon et donc du Quai M ! » SMAC à laquelle il est toujours attaché et avec laquelle il garde un lien très fort. « J’adore travailler la lumière lors de concerts. C’est comme écrire une partition. Il faut sentir les artistes sur scène. Capter les signes. Imaginer ce que tu vas pouvoir proposer. Il faut ouvrir tes antennes et lâcher tes neurones. Le métier de régisseur-lumières c’est ressentir en ayant une maîtrise absolue de son outil. C’est à la fois fondamentalement technique et éminemment instinctif. »

C’est en 2017 qu’il décide de devenir officiellement plasticien. « J’ai reculé le moment au maximum. Ça faisait plusieurs années que je faisais des choses. Je voyais bien que ça me travaillait mais je voulais passer le cap pour de bonnes raisons. Pas pour flatter mon ego. Et puis je me suis posé LA question essentielle : avais-je quelque chose à dire ? »

La réponse était apparemment oui.

Son inspiration, Guillaume la trouve dans la physique quantique*, théorie qui semble de prime abord très loin du milieu artistique. « Mais c’était une évidence pour moi. Depuis tout petit, je suis attiré par la science. Mon rapport à l’école a toujours été assez compliqué. Mon rapport au langage également. J’étais dyslexique. La science fut alors un refuge. Je voulais comprendre comment les choses fonctionnaient. En y repensant, je crois qu’aujourd’hui, à travers mes œuvres inspirées de la science, j’ai créé mon propre langage. Mes propres lettres. Mes propres mots. Mes propres phrases. »

Est-ce à dire que ses créations sont arides, incompréhensibles, parce qu’issues de la physique quantique très floue pour la plupart du commun des mortels ? C’est tout le contraire. Guillaume réussit à faire du léger avec du monumental. Du poétique avec de la matière. « Je suis persuadé qu’on peut créer de l’émotion avec la physique quantique. On peut questionner le vide, la fébrilité, l’éphémère grâce à de simples ronds de fumée. Devant mes propositions artistiques, la plupart du temps le public est contemplatif, suspendu, en apnée. L’autre jour, une femme m’a dit qu’elle pourrait rester là pendant des heures à juste « voir » le temps couler. Ça m’a beaucoup touché d’autant plus que dans notre société actuelle tout va de plus en plus vite. Par mes œuvres, je créé un point de vue. Et j’essaye que le public ait aussi le sien. »

Il faut deux ans à Guillaume pour créer une œuvre. Chaque projet passe par trois phases. D’abord, la recherche scientifique. Il se documente, creuse, explore. Ensuite, l'expérimentation. Il construit, fabrique, essaye, tente, voit où sont les limites. Enfin, la création-refabrication née des contraintes rencontrées. C’est alors une relecture de l’œuvre. « La plupart du temps, le résultat n’est pas tout à fait celui que j’avais en tête au départ. Mais c’est ce qui fait le charme de mon travail. Il faut accepter l’aléatoire. L’imparfait. »

Mais il y a, selon lui, un point commun entre le chercheur (scientifique) et l’artiste. C’est l’acquisition d’outils et la direction à prendre pour concrétiser un projet.

Pourquoi alors se définit-il comme un expérimentateur-constructeur ? « Parce que j’ai besoin d’essayer. De construire. D’aller voir. Je fais des choix. Tout le temps. Je choisis ma matière, mes vices etc. Ce n’est pas parfait mais ce sont mes choix. C’est ma façon à moi de m’imposer et de me confronter à la matière, à l’espace et au temps. »

Guillaume interroge la réalité à travers la science. « Je veux que ma science soit artistique et philosophique. Je suis par exemple très conscient que l’Homme, aussi orgueilleux soit-il, fait partie de ce Grand Tout. Qu’il n’est rien au regard de la planète. Qu’il n’est pas au-dessus du reste, ce qu’il tend pourtant à croire. C’est quand même fou de penser que l’Homme est censé être l’être le plus intelligent sur terre et qu’il n’est même pas foutu d’être en lien avec tout le reste ! L’Homme a oublié son animalité. Sa fragilité. Avec mes œuvres, j’essaye modestement de la remettre au centre et de créer de la poésie à travers elle. L’émotion vient souvent de là. De la faille. »

« Et si vous n’aviez pas été plasticien, vous auriez fait quoi ?

Chercheur m’aurait plu évidemment. Je le suis un peu… Mais je crois que j’aurais d’abord fait du bateau ! »

En 2025, Guillaume proposera des créations sur l’évolution des espèces et autour de l’eau et de la lumière. D’ici, là vous pourrez retrouver son travail au Festival Interstices de Caen du 13 au 15 mai prochain et toute son actualité est sur www.guillaumecousin.fr

 

* théorie qui décrit le comportement des objets physiques au niveau nanoscopique. Elle couvre notamment les atomes, les électrons et les photons. Un objet est alors défini selon sa position et sa vitesse, dont on peut prédire l’évolution. Il est également décrit selon sa fonction d’onde. On peut définir ses probabilités de présence à un endroit donné et à un moment donné. Source : gouvernement.fr

Crédit photo : Christophe Martin

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